La légende
de saint Vorles
Le
roi Gontran arriva un jour de fête à Marcenay où le saint faisait l'office
de pasteur…
Il prit à dessein la matinée pour donner à sa dévotion le contentement
d'assister à la messe de saint Vorles avec toute sa cour. Le saint commença
ce divin mystère dans un tempérament d'humilité et de majesté…
Il avait déjà lu le saint évangile et s'approchait du temps de la consécration,
quand il devint immobile comme une statue de marbre et privé de l'usage
de tous ses sens, de même que si son âme eut fait divorce avec son corps
et qu'elle s'en fut envolée dans le ciel.
Il demeura une heure entière en cette extase entre l'admiration et le
désir du roi et de ses gens…
Le voilà donc qui retourne, lui qui n'était pas sorti de là, et qui
achève la messe avec autant de présence d'esprit que si rien ne lui
fut arrivé. La messe achevée, le roi ne lui donna pas le loisir de faire
un peu d'actions de grâces : à peine a-t-il mis bas ses habits sacerdotaux
qu'il lui demande ce qu'il a fait une heure durant pendant qu'il était
immobile à l'autel.
Était-ce une extase? Était-ce une faiblesse de cœur ?
Bref, il le presse si fort que le saint homme, qui n'avait pas appris
à mentir ni à dissimuler, lui dit tout franc
" Sire, j'étais allé secourir un pauvre innocent
que le feu eût dévoré, si je ne fusse accouru ; maintenant, grâce à
Dieu, l'incendie est éteint et l'enfant en assurance. -Quel enfant dit
le roi, quel feu, quel incendie, en quel lieu ?-Les habitants de Plaines
répondit saint-Vorles (c'est le bourg distant de Marcenay de trois lieues),
étaient allés ouïr la messe à Mussy, quand le diable, par un juste mais
secret jugement de Dieu, a mis le feu dans une maison du village où
personne n'était demeuré qu'un petit enfant, dans son berceau, qui eût
été la victime innocente de cet incendie, si Dieu ne m'eût fait voir
en esprit le danger où était cette petite créature. Au même temps, je
m'y suis transporté*, j'ai délivré l'enfant et conservé le village.
Voilà, Sire, ce qui a fait la messe plus longue qu'elle n'eut été sans
cela. "
Chacun s'étonna au récit de cette merveille ; quelques gaillards qui
font gloire d'être incrédules disent avec un branlement de tête : croyez
le porteur. Le roi, qui n'entend pas raillerie, dépêche sur-le-champ
des personnes affidées pour voir et s'informer sur les lieux de la vérité
du fait.
Les envoyés trouvent des poutres encore toutes fumantes dans la maison,
le petit enfant sain et vivant, le père et la mère, qui étaient retournés
de Mussy, joyeux du salut de leur fils et des restes de leur maison
conservée, qui cherchaient partout saint Vorles pour le remercier, parce
que quelques villageois les assuraient qu'ils avaient vu le saint entrer
courageusement dans la flamme et la fumée, tirer l'enfant hors du danger,
arrêter soudainement l'activité du feu par sa présence.
Texte
du R.P. Legrand (1651) d'après Aganon, chanoine de l'abbaye Notre-Dame
de Châtillon (vers 1040)
*
Ce phénomème s'appelle: Bilocation ou décorporation